Vous êtes plutôt brillant ou plutôt mat ? Voilà une question qu’on va vous poser quand vous allez essayer des becs en magasin ou lorsque vous voulez créer un bec chez Syos. Mais qu’est-ce qui se cache réellement derrière ces termes ? Explication par Maxime, expert en psychoacoustique.
Pourquoi la brillance ?
Qu’est-ce qui différencie vraiment le son d’un saxophoniste du son d’un autre saxophoniste ? Et quel mots peut-on utiliser pour décrire ces différences ? C’est la question qui nous a le plus occupé lorsque nous avons créé Syos. Nous avons effectué de longues recherches sur internet, sur les forums parlant de saxophone, des sondages sur facebook, mais aussi des entretiens approfondis avec de nombreux saxophonistes, ainsi que des centaines d'essais commentés de becs de saxophone.
Une dimension ressort toujours en premier lieu : la brillance du son.
La brillance c’est le premier critère qui va permettre de dire si deux sons qui ont la même hauteur, la même durée et le même volume se ressemblent ou pas. Deux sons qui auront la même brillance seront beaucoup plus proches l’un de l’autre que deux sons dont la brillance est très différente.
Comment définir la brillance ?
Nous abordons ici un point délicat : comment définit-on une sensation ? Si je vous posais la question « Comment définiriez-vous la brillance ? », je suis prêt à parier que vous auriez du mal à me répondre avec une phrase simple et précise. Heureusement, lors de mes années de recherches de ma thèse à l’Ircam, c’est précisément le sujet qui m’a intéressé.
Ma réponse, c’est que justement on ne va pas pouvoir facilement décrire une sensation auditive. C’est comme si je vous demandais de définir par exemple ce qu’est le rouge : la réponse la plus simple serait alors de donner une définition par l’exemple, en me donnant plusieurs exemples d’objets qui sont rouges et plusieurs exemples d’objets qui ne le sont pas. Cette définition dépend de nos sens et donc de notre perception de la couleur, appelons-là une définition perceptive du rouge. Mais peut-être parmi vous y a-t-il un scientifique qui objectera qu’on peut donner aussi une définition physique du rouge, en précisant une plage de longueur d’ondes associées à la couleur rouge.
Pour la brillance, c’est exactement pareil : vous serez peut-être capable de me dire que David Sanborn par exemple à un son de saxophone très brillant. Et un acousticien pourra parler du spectre du son et de hautes fréquences.
Quelle définition choisir alors ?
Les deux types de définition de la brillance sont valables et ne disent pas la même chose. D’un côté, la définition perceptive correspond beaucoup plus à la réalité puisqu’elle vient directement de celui qui entend le son. En contrepartie, c’est une définition très subjective qui dépend des individus : un son pourra être jugé brillant par un saxophoniste alors qu’un autre saxophoniste ne le trouvera pas du tout brillant.
C’est le cas pour des sonorités ambigües, comme par exemple le son du saxophoniste John Coltrane. Un sondage effectué auprès de plus d’une centaine de saxophonistes avait montré que 33% d’entre eux le jugeait « Dark » et 66% d’entre eux le jugeait « Bright » (lire l’étude complète : Le mystère du son de John Coltrane)
Définition perceptive | Définition physique |
ConcretPlus proche de la réalité Subjectif Varie selon les individus | AbstraitConcept mathématique Objectif Mesurable, constant |
La définition physique, elle, est objective : à n’importe quel son (ou plutôt signal sonore) on peut associer une valeur de la brillance qu’on mesure à l’aide d’un appareil ou d’un logiciel. En revanche elle n’a pas de sens à elle toute seule : pour être pertinente, elle doit correspondre d’une manière ou d’une autre à ce qui est perçu par les individus.
Définition perceptive de la brillance
Afin d’illustrer la variabilité des perceptions entre les différents individus, nous avons effectué une petite expérience : nous avons sélectionné 11 enregistrements de différent saxophonistes du XXème siècle, et pour chacun d’entre eux nous avons choisi un extrait de 5 à 10 secondes maximum. Nous avons fabriqué un petit quizz ou les participants devaient noter les extraits sur plusieurs échelles de 1 à 10 (puissance, brillance et largeur). Ici c’est la brillance qui nous intéresse. Les participants n'avaient pas connaissance du nom du musicien, ils n'avaient que l'enregistrement sonore pour juger. Vous pouvez retrouver le quizz complet et faire l’expérience en suivant ce lien : quizz sur le timbre du saxophone. Observons les résultats du quizz, auquel ont répondu 100 saxophonistes :
Sur ce graphique les enregistrements sonores utilisés pendant le quizz sont classés de celui qui a eu la note moyenne de brillance la plus faible (prix remporté par Paul Desmond) à celui qui a eu la note de brillance la plus élevé (le champion étant Michael Brecker). La barre noire représente l'écart de notation moyen : plus elle est grosse, moins les auditeurs sont d'accord. Ici, l'écart moyen reste relativement constant, même si Kenny Garrett et Sonny Rollins semblent créer légèrement plus de désaccord que les autres.
Nous avons en quelque sorte reconstitué ici une échelle de brillance avec des échantillons de références, comme un oenologue pourrait le faire avec du vin, ou comme on pourrait le faire avec des parfums. D'autres expériences plus complexes peuvent permettre d'étudier la brillance : c'est le cas par exemple de l'espace des timbres de Stephen Mc Adams (dont je parle dans cet article : les mots utilisés pour décrire les sons) dont l'une des dimensions est la brillance.
Définition physique de la brillance
Plusieurs études scientifiques d'acoustiques et de psychoacoustique (si vous ne savez pas ce que désigne ce terme, allez lire l'article : Chaud, brillant, centré, mat...? la psychoacoustique nous éclaire !) se sont interessées à la caractérisation physique de la brillance. On l'associe généralement à "la quantité de fréquences aigues qu'on entend dans le son".
Il existe même un indicateur psychoacoustique, l'acuité qui représente la brillance du son. Un des modèles pour le calculer consiste à regarder le centre de gravité du spectre (ou CGS). C'est en quelque sorte la balance entre la quantité de fréquences graves et la quantité de fréquences aigues dans le son. Cette grandeur est utilisée surtout pour des applications industrielles, et il faudrait vérifier comment on peut l'utiliser pour bien décrire la brillance du timbre de saxophone.
Comment le bec de saxophone peut changer la brillance ?
Le bec est à l'interface entre le musicien et l'instrument donc c'est une pièce essentielle dans la formation du son. Il faut garder à l'esprit que c'est le musicien qui produit le son, par sa volonté, sa technique, son embouchure (à ce propos, pour les saxophonistes, 3 exercices pour travailler votre son: les sons filés, les harmoniques, les octaves et les quintes), mais la géométrie du bec va pouvoir favoriser certaines caractéristiques du son plutôt que d'autres. Ainsi sur certains becs, il sera plus facile d'obtenir des sons brillants que sur d'autres. En particulier le plafond et la chambre sont deux paramètres du bec jouant beaucoup sur la brillance.
À lire :
Le plafond du bec de saxophone La chambre du bec de saxophone